Lis, vis, aime
8 Mai 2013
...suite
Moi: Sur votre page Facebook, vous faites part de votre anxiété par rapport à l’accueil réservé à votre livre. Est-ce que à chaque sortie de livre, c’est comme si vous mettiez…
Janine Boissard: …ma vie en jeu! Je dis "ma vie" parce que si je n’écris pas, je n’ai pas envie de vivre! J’ai envie d’écrire jusqu’à ma sortie de scène j’ai envie de dire.
Et c’est vrai que j’ai toujours l’angoisse de perdre ce qui fait le meilleur de l’écriture, c’est-à-dire ce don qu’a l’écrivain de mettre de la vie dans son œuvre. Ca, vous ne dominez pas, vous l’avez ou vous ne l’avez pas. C’est ce qui fait que vous avez tant de livres écrits qui sont froids et qui n’existent pas. Il y a pleins d’idées, mais il n’y a pas la vie. Et ça, j’ai connu des écrivains qui l’ont perdu, dont Hervé Bazin que j’ai connu personnellement. Ils ont perdu ce don et c’est ma terreur. Plus l’âge va, et plus je l’ai parce que je vois autour de moi beaucoup d’écrivains de mon âge qui ont rendu la plume si je puis dire. Ou ils tournent en rond, ou c’est fini. Donc c’est tellement un miracle d’avoir toujours autant d’idées, tellement d’imagination et cette faculté de mettre la vie que j’ai peur.
Ca se décompose en trois parties qui sont très amusantes parce qu’à chaque fois ça me fait le même coup : quand je relis les épreuves du livre, avant l’édition, je me dis « C’est nul ! Je voudrais tout recommencer, mais je ne peux pas, j’ai tout mis ! » :-D Puis il paraît, puis les premières critiques jusque-là sont bonnes, les gens aiment beaucoup, et je me dis : « je ne pourrais plus jamais faire si bien ! » :-D
Moi: Et pourtant à chaque fois…
J.B.: ...les éditeurs se frottent les mains et disent « L’anxiété porte et c’est très très bien ! » Parce que ça m’oblige à être très exigeante envers moi-même.
Moi: Accordez-vous de l’importance aux classements des ventes de livres, au diktat des statistiques ?
J.B.: Oui et non. Là j’étais de nombreuses semaines dans Livre Hebdo – 7 ou 8 semaines, ce qui est beaucoup – surtout que je ne passe jamais dans les grandes télévisions nationales. Parce que j’ai l’âge que j’ai et que, à partir de 50-60 ans ils ne prennent plus. Ils préfèrent une petite jeune un peu pimpante qui écrit un moins bon livre, sauf quelques exceptions, ils ne prennent pas à mon âge. Donc ils l’ont dit, je ne passerai pas chez Ruquier, je ne passerai pas chez ces gens-là. Mes lecteurs le regrettent, et moi aussi parce que le peu de fois que j’y ai passé, comme je parle pour l’ensemble des Français, les gens ont été très très contents.
Donc, sans cet appui des grandes télévisions, je suis contente d’y être mais je ne rentre pas –ou plus – dans les listes de l’Express, toutes ces grandes listes etc. Je le regrette, j’aimerai bien, pour ma fierté, ma satisfaction personnelle parce que le livre marche. Parce que cette grande famille, j’aide beaucoup, notamment mes petits-enfants, c’est mon bonheur (…). Et les ventes de livres baissant, on peut moins aider. Cette notoriété m’est nécessaire pour aider autour de moi...
C’est vrai que je suis toujours la petite fille, pas reconnue par les siens, qui attendait les flashs, qui espérait être célèbre en pensant que vouloir être célèbre voulait dire aimer, mais ce n’est pas vrai ! Célèbre veut dire beaucoup d’inimitiés, beaucoup de jalousies, etc. Je suis vraiment, dans un coin de moi-même, restée cette petite fille du livre « Je serai la princesse du château » qui avait envie d’être célèbre…
Moi: Vous est-il arrivé ou pourrait-il vous arriver d’orienter un livre d’une manière ou d’une autre pour toucher un plus large public?
J.B.: Quelle horreur, jamais ! Ça a été le meilleur conseil qu’on m’a donné après « L’esprit de famille » : j’ai eu deux voix au Fémina. Grâce au Ciel je n’ai pas eu le Fémina parce que ça m’aurait peut-être paralysée, mais j’ai eu deux voix. Et Germaine Beaumont qui était un des membres du jury qui m’avait donné sa voix m’a invitée à venir chez elle. Et elle m’a donné un conseil formidable. Elle m’a dit : "Un, vous allez avoir tendance à prendre « L’esprit de famille » de votre main gauche et à vous copier. Ne le faites jamais. Deux, ne tenez jamais compte de l’avis de vos lectrices ou de vos lecteurs, écrivez ce que vous avez dans les tripes sans chercher à plaire". Je me suis toujours tenue à ça. Je suis folle de bonheur que ça plaise. Jamais je ne chercherai à plaire.
Moi: D’où peut-être l’angoisse à la sortie du livre… ?
J.B.: Non, c’est un autre ordre ! Parce que je sais que quand j’écris je parle au nom de tous mes lecteurs et de mes lectrices. J’écris sur maintenant, j’écris toujours des histoires de femme, d’enfants, de mariage, etc. Donc je sais que quelque part je vais toucher mes lecteurs et mes lectrices. Mais je ne vais pas pour autant rajouter une fin ou un milieu ou quelque chose pour leur plaire. Ce serait les tromper ! Ils ne s’y trompent pas, ils me suivent.
Et c’est comme ça qu’en plein milieu de « Esprit de famille », (…) j’ai dit à mon éditeur, effondré, « J’écris une histoire de divorce(…) », il m’a dit « SVP, ne faites pas ça, vous êtes la famille, vous incarnez la famille ! Je vous en supplie ! ». J’ai dit « J’ai envie de l’écrire, j’étais en train de divorcer, je veux l’écrire ». J’ai eu (Bernard) Pivot, ça a été un succès fou parce que d’abord il y avait ma voix, mon style, que mes lecteurs ont reconnus, il y avait leurs problèmes et il y a avait quand même une famille. C’était une famille qui subissait une épreuve!
La seule chose, c’est que je finis toujours, toujours bien. Je ne cache pas les noirceurs de la vie, mais je finis bien. Pour la bonne raison que quand je lisais et que j’étais petite fille et que je n’étais pas très heureuse finalement, je lisais pour me consoler, pour me faire du bien, si ça c’était fini mal je ne survivais pas. Donc vous ne me ferez jamais finir mal. Je finis dans l’espoir, je ne vais pas dire que c’est tout rose, je finis dans l’espoir…
à suivre...
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