Lis, vis, aime
7 Mai 2013
Mardi 07 mai à 9h40 dans un beau quartier de Paris...
Je suis arrivée avec 20 minutes d'avance au rendez-vous. J'étais en bas de chez elle, le cœur battant la chamade, après avoir passé une nuit blanche (oui, je sais, c'est déplacé et ridicule, mais je n'y peux rien) à tourner et retourner les questions dans ma tête. Je m'apprêtais à interviewer Janine Boissard, une grande auteure à succès, une de mes auteures préférées surtout, cela arrive combien de fois dans une vie une chose pareille? N'y tenant plus, je sonne à l'interphone, elle ne voit pas d'inconvénient à ce que je sois arrivée plus tôt, cela l'arrange plutôt même car elle avait quelque chose de prévu ensuite. J'ai enfin pu toucher des doigts et mettre une voix sur celle dont les mots ont enchanté ma jeunesse et enchantent encore l'adulte que je suis devenue...Et c'était parti pour une heure de conversation à bâtons rompus:
Moi: Bonjour Janine Boissard, je suis ravie de vous rencontrer! Pouvez-vous me décrire votre journée type?
Janine Boissard: Je me lève, quand je me suis couchée tôt le soir, à 5h du matin. Sinon à 6h, jamais au-delà parce que là je suis sûre d’avoir 3h de travail sans être dérangée et puis j'adore écrire le matin. Je prends mon petit déjeuner en prenant des nouvelles du monde - car je m’intéresse passionnément au monde - et en écoutant de la musique. Je peux dire que c’est mon repas préféré de la journée, je prends - avec beaucoup de confitures faites maison offertes par mes lectrices, cela dit je suis allergique à la confiture de fraise - du pain grillé, du beurre, du café au lait et c’est tout. Cela dure une demi-heure à peu près, après j’éteins la musique, j’ai besoin du silence et j’écris à la plume, dans mon lit, adossée à mes oreillers. J’écris jusque vers 9-10h, après je me lève, je fais quelques courses, j’aère mon esprit, et l’après-midi je tape sur une machine électrique basique – pour pouvoir voir sur papier sous mes yeux – ce que j’ai écrit le matin. J’y pense quasiment toute la journée, j’ai des idées la nuit. Le soir, quand je ne sors pas, j’éteins à 21h15-21h30. J’ai besoin de 8h de sommeil.
Moi: Qu'écoutez-vous comme musique?
J.B.: Tout ! J’ai été bercée par la musique classique que j’adore mais j’aime beaucoup le pop et le rock, du moment qu’il y a des belles paroles et une mélodie. J’aime beaucoup les chansons anciennes. La musique me met en état d’émotion dirais-je, parce que l’écriture pour moi c’est comme la musique. Je l’ai souvent dit et c’est vrai. Je relis mes phrases quand la musique est bonne. Vous savez, quand j’étais petite, j’hésitais beaucoup entre le piano, la musique et l’écriture. Et j’ai choisi l’écriture mais je mets la musique dans mes mots.
Moi: Vous écrivez à la plume?
J.B.: Oui, encouragée par mes éditeurs! Je fais le va-et-vient de la machine à ma plume jusqu’à ce que l’écriture soit parfaite, jamais par ordinateur. Mes éditeurs – qui sont de grands éditeurs – on pourrait croire qu’ils me disent « Ne mettez qu’un mail!» Mais non, ils disent « surtout pas ! » et ils ont leurs raisons.
J’ai décidé d’écrire vers l’âge de 12-13ans, et je n’ai plus pensé qu’à ça. (...) Et si je mets un ordinateur entre la plume et moi, j’ai peur que ça nuise au meilleur qu’est l’inspiration. C’est très magique l’inspiration ! Et mettre mes mots dans l’ordinateur, j’ai peur que ça nuise à l’écriture. Mes éditeurs me disent cette chose étrange : l’écriture est plus naturelle et plus spontanée à la plume. Avec l’ordinateur les mots ont tendance à se mettre dans l’ordre : le verbe, le sujet, le complément, etc. Il y a quelque chose qui se passe quand on écrit directement à la plume qui n’existe pas. Et seconde chose, si j’avais un ordinateur, quand je veux décrire un lieu, j’aurais tendance à le chercher, et ça se sent. Je vais toujours sur les lieux que je décris. Ce qui a fait que quand j’ai écrit il y a trois ans un livre sur les pompiers (ndlr. "N'ayez pas peur, nous sommes là"), je suis allée travailler avec eux, je suis allée au feu, c’était très fatigant . Là, je suis allée à Cognac (ndlr. pour écrire Chuuut), je vais respirer les lieux, je vais voir, et c’est ça qui va me donner le détail qui va faire vivre mon histoire.
Moi: Vous avez toujours été une lève-tôt?
J.B.: Je pense qu’être du matin m’est venue comme à beaucoup de femmes du fait que j’ai eu des enfants. Parce que c’est le moment où je peux être tranquille. J’ai quand même eu 4 enfants, je n’avais pas beaucoup de temps pour écrire et je me levais très très tôt pour écrire. Donc j’ai pris cette habitude depuis très très longtemps. J’aime ça, je ne mets jamais de réveil de ma vie. Parce que vraiment il sonne dans ma tête, vers 5h du matin. Et j’écris à ce moment-là, dans mon lit, j’ai un grand lit qui est mon lit-bureau, avec mon téléphone etc.
Moi: Vous voyez beaucoup votre famille?
J.B.: Ils sont tous grands (ndlr: deux d'entre eux habitent Montrouge, ma ville :D), je ne les vois qu’en vacances, ou, quand certains qui font leurs études veulent réviser en paix, ils s’installent là-haut, chez moi, ils savent qu’ils ne seront pas dérangés par la télévision ni par rien.
Ils me demandent conseil quand c’est pour des examens de français, ce qui m’honore énormément parce que je n’ai pas mon bac. Vous savez quand j’étais petite, j’ai écrit un livre qui s’appelle « Je serai la princesse du château » où je le dis. Nous savions lire et écrire couramment à 5-6ans, c’était comme ça à ma génération. Et très vite, j’ai eu la passion de l’écriture, et la passion de la lecture, je n’ai plus rien fait d’autre. Ce qui m’a valu d’être renvoyée de toutes les boîtes religieuses de mon arrondissement :-D ! Et en 3ème j’étais toujours la meilleure en français, mais je ne faisais rien d’autre. Donc, mes parents ont dit « On la mariera, ce n’est pas grave" - mes parents bien bourgeois- et ils m’ont retirée de l’école. J’ai eu un certain temps un complexe, et puis le jour où j’ai appris que le ministre de la culture, André Malraux, n’avait pas son bac, oh ! ça m’a décomplexée, complètement. Ce qui m’ennuie, c’est qu’il me manque des bases en histoire, en géographie, je ne peux pas me rattraper maintenant. Les choses s’impriment dans les mémoires quand on est jeune. J’ai écrit un livre sur Napoléon, j’ai su tout sur Napoléon, j’avais beaucoup beaucoup lu avant, pendant un an, le temps d’écrire le livre, un an après je ne savais plus rien, ça s’est effacé de ma mémoire.
Donc il y a des bases qui me manquent qui m’obligent à recourir au dictionnaire sans arrêt, mais comme j’adore les dictionnaires, ça ne me dérange pas. Et ça m’a permis de garder cette naïveté dont Cocteau disait qu’elle était nécessaire à l’écrivain (ndlr : elle a dans son salon des dessins originaux de Cocteau). J’ai toujours l’impression que demain va être mon jour de gloire! J’ai toujours envie que le meilleur arrive ! Je rêve énormément, et je pense que si j’étais très intellectuelle, si j’avais fait énormément d’études, j’aurais un regard plus froid sur les choses. Donc finalement non seulement je n’ai plus de complexe mais je ne regrette pas!
A suivre...
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